Sculpteur

Les parents de Michel vivaient en Moselle, son père était pasteur et sa mère venait de Yougoslavie, un pays qui n’existe plus. Il était le dernier d’une fratrie de sept frères dont l’ainé était le peintre Franck Wohlfahrt (1942-2010). Enfant, Michel fut subjugué par les vitraux et les couleurs qui s’en échappaient, la poterie le fascinait déjà. À l’âge de 15 ans, il décida de devenir potier. Après un long et fastidieux apprentissage, il passa avec succès son brevet de compagnon. En 1967, Michel incorpora l’école d’art décoratif de Strasbourg. C’est là qu’il sympathisa avec Christian Martel, un étudiant qui venait de la Drôme provençale. Celui-ci mit Michel en relation avec un potier de Dieulefit qui l’embaucha. (Peintre, dessinateur et photographe Christian Martel décéda à l’âge de 72 ans à Montpellier le 18 octobre 2019).

Michel Wohlfahrt oeilpaca
Photo Rv Dols

Pour financer son voyage de Strasbourg à Dieulefit, Michel travailla chez un brasseur. Avec son premier salaire, il acheta une 125 Peugeot. Il partit pour un périple de plusieurs jours à travers la France. Un matin d’août 1968, il arriva dans la Drôme. La lumière, les couleurs et les senteurs de lavande l’envoûtèrent à jamais.

Le lundi suivant, Michel était déjà au travail. Il constata avec étonnement l’absence d’humilité et l’improvisation des « céramistes » de l’époque dans les métiers de l’artisanat d’art. Alors qu’il n’avait que 20 ans, il s’installa à Visan pour ouvrir son Atelier. Cette année fut aussi marquée par la naissance de son premier fils. Sa femme, une Alsacienne, décida de partir pour Strasbourg. Michel se retrouva seul, il avait besoin d’air, il s’embarqua pour la Tunisie en 1973 où il travailla durant une année avec des potiers de Moknine.

De retour en France en 1975, Michel ouvrit un nouvel atelier. En 1984, il exposa pour la première fois des sculptures au musée Géo-Charles à Échirolles (Géo-Charles était un poète et écrivain français, le musée Géo-Charles à Échirolles est constitué en partie d’un don fait en 1982 par son épouse). Lucienne la veuve de Géo-Charles demanda à Michel pourquoi il signait derrière ses sculptures. En poterie, la signature se trouvait au dos de l’objet et puis Michel n’avait pas encore pris la décision de devenir artiste sculpteur.

En 1985, la qualité de son travail et sa dextérité étaient reconnues. Après une quinzaine d’années de production, Michel se remit en question. Il se détourna de la poterie pour entrer dans un autre monde, il interpréta son ressenti comme un sacrifice. Une mise à l’épreuve volontaire d’où devait émerger la métamorphose d’un artisan en artiste.

Michel Wohlfahrt : « Artiste, c’est un peu différent. Évidemment, ça touche son égo, il faut arriver à maîtriser tout cela, nous ne sommes pas élus par les dieux. C’est un engagement que l’on prend. »

L’artiste se mit à l’ouvrage, les années quatre-vingt furent rythmées par d’intenses productions. Les expositions se succédèrent. En 1989, au détour d’une soirée festive, il fut abordé par un entrepreneur qui lui proposa de participer à la commémoration du bicentenaire de la Révolution française. Michel créa une petite tête qu’il fixa à un balai retourné, les poils vers le haut. Il débarqua avec ses deux balais (un bleu et un rouge) dans les bureaux de l’entreprise à l’initiative du projet, la secrétaire l’accueillit avec un regard perplexe. Michel exposa son idée, « C’est l’homme de la rue qui se retourne et c’est l’homme de la rue qui fait la révolution, voilà l’hommage aux révolutionnaires inconnus. »

Le concept est validé. Cinquante mille balais bleus, blancs, rouges, gisaient la tête à l’envers, plantés sur le Mont-Blanc. L’installation formait un drapeau visible depuis la vallée. Michel fut embarqué dans un tourbillon d’hélicoptère, il se retrouva sur le site pour une séance de shooting. La médiatisation de l’évènement passa par la participation de Médecins sans Frontière, Marie-Françoise Buart Holtz (ex-femme de Gérard Holtz) pilotait la communication depuis les salons parisiens. Les rotors des hélicoptères firent trop de vent dans la vallée, les écologistes virent rouge, l’opération fut déplacée sur le massif de la Mije.

La matière

L’argile est son élément de prédilection. Cette matière molle qu’il façonne et transforme en pierre après la fusion. Le sculpteur passe à la postérité grâce au bronze, Michel fut l’un des premiers artistes à faire fondre chez Barthélémy à Crest dans la Drôme.

Michel Wohlfahrt : « Le bronze ne bouge plus dans le temps, il transforme un peu l’objet et l’anoblit, on n’est plus seul, d’autres artisans interviennent aux différentes étapes, on peut venir avec ses idées les plus folles, on est toujours pris au sérieux chez Barthélémy. »

Cinquante ans de dévotion

Les pensées de Michel sont empreintes d’un respect indéfectible où règne la tradition. Pendant 50 ans il s’est efforcé de maîtriser la technique pour en être son complice. Sa connivence avec la matière est de l’ordre de l’intimité. Il crée en douceur, ou avec violence, des œuvres statiques qui évoquent le mouvement d’où peuvent jaillir des couleurs restituées par des pigments minéraux.

Michel Wohlfahrt : « Je ne parlerais pas de série, mais plutôt de famille, je ne parlerais pas de période, mais plutôt d’aller et retour. »

Les dernières familles créées par Michel suggèrent le côté enfantin de l’artiste. Peut-être pour brouiller les pistes, Michel ne s’inscrit pas dans la séduction, l’évidence d’un engagement qui peut déranger est perceptible, peu importe, l’artiste écoute ses pulsions et exprime ses préoccupations.

WEB : www.mwohlfart.com.fr

Rv Dols : photojournaliste@oeilpaca.fr